• Vendredi 12 mars 2010, 16:17

    L’Allemagne, en tout cas celle qui était autrefois l’Allemagne de l’Ouest, a déjà beaucoup fait pour se « regarder en face » après l’horreur de la période nazie. Mais il reste tout de même pas mal de zones d’ombres sur ce passé, notamment sur les mois qui suivirent la fin de la Seconde Guerre Mondiale en Allemagne même.

    Dans un récent article paru dans le magazine « Der Spiegel », des chercheurs, des journalistes ainsi qu’un ancien agent secret témoignent du refus catégorique des autorités allemandes depuis un demi-siècle d’ouvrir les archives concernant la fuite de l’un des plus grands criminels que connut le régime nazi : Adolphe Eichmann.

    Ces documents décriraient ce qu’il advint de l’un des planificateurs de la Solution Finale depuis la fin de la guerre, comment il réussit à fuir vers l’Amérique du Sud, jusqu’à ce qu’il fut kidnappé par un commando israélien en 1960 pour être amené en Israël et y être jugé.

    Depuis 1945, l’argument avancé par les Renseignements allemands était « que ce dossier contenait des éléments classés comme confidentiels pour la sécurité », ce que réfutent aujourd’hui ces chercheurs. Pour eux, l’ouverture de ces archives risque bien de révéler comment l’administration allemande de l’immédiat après-guerre a probablement aidé des criminels nazis à quitter l’Europe, et quelles furent les personnes qui étaient intéressées à ce qu’Adolph Eichmann ne tombe pas dans les mains des alliés.

    Récemment, des journalistes allemands ont refait une demande au B.N.D (Services Fédéraux du Renseignement ». Gabriel Weber a écrit une lettre au Tribunal Fédéral de Leipzig afin d’avoir accès aux 4.500 pages du dossier. La Cour a édicté un arrêt de compromis, autorisant de manière exceptionnelle trois juges à consulter ces archives, pour dire une fois pour toutes « si les arguments des services secrets pour ne pas rendre ces documents publics, ne sont pas incompatibles avec le principe du ‘droit du public de savoir’ ». Les services secrets allemands du B.N.D ont toutefois exigé « que ces trois juges gardent ensuite le secret sur ce qu’ils auront vu, car la plupart des documents qui se trouvent dans ce dossier avaient été transmis à l’Allemagne par des services secrets étrangers ». Au B.N.D., on dit craindre « que si ces documents étaient étalés au grand jour, l’Allemagne aurait du mal à l’avenir à obtenir des renseignements de la part de services secrets étrangers ». Cet argument est cependant catégoriquement rejeté par Uki Goni, journaliste argentin et spécialiste du domaine des criminels nazis en fuite. Pour Goni, « il s’agit d’une excuse fallacieuse, car il aurait été élémentaire de ne pas faire figurer ou d’effacer les noms de ces services secrets étrangers !» Pour le journaliste argentin, « les seuls services secrets que l’ouverture de ce dossier pourrait mettre dans l’embarras…sont les services secrets allemands eux-mêmes ! ».

    Uki Goni est notamment l’auteur d’un ouvrage intitulé « The Real Odessa », du nom du célèbre réseau qui permit à de nombreux criminels nazis de fuir l’Europe en direction de l’Amérique du Sud principalement, avec l’aide notamment du Président argentin Peron. Goni est persuadé « que la teneur des documents du ‘Dossier Eichmann’ risque de projeter un éclairage nouveau sur le rôle de l’Allemagne et de ses services secrets dans l’immédiat après-guerre.

    L’ancien agent secret allemand, Wilhelm Dietel, cité dans « Der Spiegel », qui aida beaucoup à la localisation d’Eichmann, met lui-aussi en doute la volonté des autorités allemandes de traîner les criminels nazis devant la justice à la fin de la guerre : « Pourquoi croyez-vous que le Procureur Général Fritz Bauer fit spécialement le voyage à Jérusalem pour discuter du ‘Dossier Eichmann’ avec les services secrets israéliens, au lieu d’en référer directement aux autorités allemandes ?! C’est parce qu’il ne leur faisait pas confiance. Il était persuadé qu’elles ne tenaient pas à juger Eichmann ». La biographe de l’agent secret, Irmtrud Wojak, est entièrement d’accord avec cette thèse, et rajoute « que le Procureur Général savait que des dignitaires nazis étaient entrés dans l’administration allemande même après la guerre. Werner Junkers, par exemple, ambassadeur allemand en Argentine après la guerre, était un’ ancien’ nazi ».

    Mais selon Me Reiner Geulen, qui défend les intérêts du journaliste Gabriel Weber, « la partie la plus explosive du ‘Dossier Eichmann’ est la manière dont il a réussi à quitter l’Allemagne et à rejoindre l’Amérique du Sud ». « Lors de son procès à Jérusalem », explique l’avocat, « Eichmann savait qu’il allait mourir, alors il a parlé. Beaucoup parlé. Il a révélé aux Israéliens quelles sont les personnes ou les institutions qui l’avaient aidé à quitter le territoire allemand. Elles se trouvaient en Allemagne, en Italie et fort probablement au Vatican ».

    Ricardo Eichmann, le propre fils du criminel nazi, qui s’est complètement désolidarisé des méfaits de son père, est lui aussi favorable à l’ouverture de ces archives : « Il est temps de révéler au public ce que ces documents contiennent, même si ce qui s’y trouve risque d’être embarrassant pour certaines personnes, organisations ou certains pays » (Actu.co.il)

    par Shraga Blum


     


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